MEDIA, GILETS JAUNES ET DEMOCRATIE
Nous n’aborderons pas ici le bien-fondé des démarches des gilets jaunes qui selon moi l’étaient pour partie mais leur traitement par les media audiovisuels
Le mouvement des gilets jaunes inédit par sa nature a été du pain bénit pour les media audiovisuels amateurs de chair fraiche. Ils ont été servis : une hydre à mille têtes s’est offerte à eux, gisant partout et nulle part, un assemblage inédit de belles femmes souriantes et d’hommes des bois faisant leur nid sur des ronds-points dans le clair-obscur des braseros. Lieux mythiques d’une nouvelle jacquerie des temps modernes comme le furent les amphis en mai 68. Les gilets jaunes ont ressuscité les sans-culottes qui, au tout début de la Révolution campaient devant le siège de la Convention, en agitaient les grilles et sommaient leurs représentants en qui - déjà- ils n’avaient pas confiance, de venir leur rendre compte. Un tel cocktail de faits inédits, de personnages romanesques, de mythes et de rappels historiques était à ne pas manquer par les media audiovisuels. Ce fut le cas.
La question n’était pas de créer l’évènement qui était là, multiple, riche, fuyant, incohérent mais de lui donner une forme et une consistance qui fixe l’auditeur et le multiplie dans les statistiques d’audimat. Le filon était tellement inespéré que les chaines d’information en continu en ont oublié leur mission de base d’informateur pour devenir un des acteurs majeurs de la crise. Informer signifie trier les faits, les inscrire dans un contexte spatio-temporel, leur donner une importance relative les uns par rapport aux autres, équilibrer les commentaires. Or à quoi avons-nous assisté ? A une entreprise de juxtaposition des évènements les plus violents ou outranciers, venant d’horizons différents à des moments différents, à des prises de parole anarchiques privilégiant des individus souvent mal informés et ne représentant qu’eux- même. Tout cela selon une mise en scène guidée par le souci exclusif du sensationnel et de l’émotif, en minorant de façon délibérée le caractère très minoritaire du mouvement même s’il fut bien soutenu, les périodes de calme et les commentaires modérés. Ce faisant les chaines d’info en continu ont distordu les faits et leur analyse et pratiqué une désinformation à grande échelle dans un jeu de télé-réalité. Cela pourrait être passé par pertes et profits s’il s’agissait d’évènements anodins mais devient très grave dans ce contexte de crise : les chaines ont joué de fait le jeu de la frange insurrectionnelle du mouvement en amplifiant et crédibilisant son action et en lui permettant de coaguler. Cela a pesé en faveur de la fraction radicale des gilets jaunes dans son rapport de force avec les pouvoirs publics. Les chaines d’information en continu se sont comportées en acteurs et non en observateurs des évènements. On ajoutera qu’elle ont fait tache d’huile sur les grandes chaines de télévision qui ont recouru à la technique de la bande passante en fond d’écran étalant de façon répétitive les échanges de coups entre force de l’ordre et manifestants, tout en traitant parfois d’un autre sujet…
Le secteur audiovisuel a failli à son métier d’observateur et a participé à la fragilisation de la démocratie ce qui est évidemment très grave. Il serait indispensable qu’une fois le calme revenu, une réflexion soit engagée sous l’égide des pouvoirs publics sur le rôle et les obligations de chacun. EB