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La patience, une générosité intérieure de Helen MONNET (Site d'Helen Monnet www selfharmonia.com )

Préface de Mathieu RICARD


Merci à Helen Monnet de nous offrir un passionnant panorama sur cette vertu cardinale qu’est la patience. Dans son essai, elle nous emmène à la découverte des grands philosophes, de diverses approches thérapeutiques et de récentes données scientifiques qui éclairent ce qu’est la patience, comment nous pouvons la cultiver au travers des joies et des souffrances de l’existence. Au sein de l’accélération constante des rythmes de vie du monde contemporain, la patience semble devenir une denrée rare. Des chercheurs ont demandé à un certain nombre de participants volontaires de rester 15 minutes seuls dans une pièce à ne rien faire. Toutefois, ils pouvaient s’ils le souhaitaient appuyer sur un bouton et recevoir une décharge électrique. Les résultats ont été surprenants : bien que tous les participants aient déclaré au préalable qu’ils paieraient volontiers pour éviter de recevoir une décharge électrique, 67 % des hommes et 25 % des femmes ont choisi de s’infliger cette décharge plutôt que de rester assis tranquillement à ne rien faire ou à réfléchir. Un sujet a été jusqu’à s’infliger 190 décharges en 15 minutes ! Selon Timothy Wilson, le chercheur principal de cette étude publiée dans la prestigieuse revue Science1 : « Nous pensions qu’il ne serait pas si difficile pour les gens de se divertir. Nous avons ce cerveau énorme, rempli de souvenirs agréables, et nous avons la capacité de construire des fantaisies et des histoires. Nous avons vraiment pensé que ce temps de réflexion était quelque chose que les gens apprécieraient. » Pour les personnes comme moi qui ont passé des années en retraite solitaire dans un ermitage himalayen en appréciant comme un trésor chaque instant de la journée, il semble étonnant et un peu décourageant de constater que bien des gens semblent mal à l’aise lorsqu’ils sont livrés à eux-mêmes et qu’ils puissent s’ennuyer et s’impatienter au point de s’infliger un choc électrique pour échapper à l’ennui. Pour celui qui s’engage dans une pratique spirituelle, la patience est une précieuse alliée, car la précipitation combinée à l’agitation mentale ne mène nulle part. Un disciple tint, dit-on, ce dialogue avec un maître zen : — Combien faut-il de temps pour atteindre l’Éveil ? — Vingt ans, peut-être. — Et si je suis très pressé ? — Alors là, cinquante ans. On pourrait aussi rappeler ce proverbe persan : Avec de la patience, le verger devient confiture, et l’exhortation du grand yogi tibétain Shabkar (1781-1851) : Que la durée de ta pratique spirituelle soit celle de ta vie. Dans la vie spirituelle comme dans tout autre domaine d’activité, il importe d’engendrer une joyeuse persévérance à accomplir ce qui nous semble mériter nos efforts. Comme le montre bien Helen Monnet, la patience nous facilite considérablement la vie et c’est un outil indispensable pour naviguer dans l’existence. Selon les circonstances, la patience peut être l’antidote à l’énervement, à l’animosité, au découragement, à la fébrilité, ou notre manque de ténacité face à une tache de grande amplitude. Dans le cadre des enseignements du bouddhisme, on s’efforce de cultiver trois types de patience :

Rester imperturbable


C’est la forme ordinaire de la patience qui permet de ne pas nous énerver dès que les choses ne se passent pas comme nous le souhaitons et à ne pas exploser de colère dès que nous sommes l’objet d’une critique ou d’un comportement nuisible. Ce qui est susceptible de nous nuire n’a pas de fin. De même qu’il est impossible d’éliminer les ronces de la forêt et les cailloux d’un sentier, on ne peut pas venir à bout de toutes les causes de mécontentement. L’irritation permanente contre « les autres » ne fait qu’amplifier notre ressentiment. Le monde entier se dresse en ennemi et tout cela finit par nous rendre malveillants. Manquer de patience nous rend très vulnérables, comme d’un voyageur qui, sans compagnons ni escorte, s’engage sur une route infestée de dangers. C’est grâce à l’adversité que nous pouvons cultiver notre patience et notre force d’âme jusqu’à devenir confiant que nous avons maintenant toutes les ressources intérieures nécessaires pour faire face aux difficultés et contrariétés de l’existence. La patience s’est ainsi renforcée en résilience. Le grand maître bouddhiste tibétain du XIVe siècle Ngulchu Thokmé, écrit à ce sujet : « La maladie nous offre un support pour cultiver la patience — relativement à notre propre souffrance — et la compassion – à l’endroit de la souffrance d’autrui. C’est en de pareilles circonstances que notre pratique spirituelle est mise à l’épreuve. »2


Assumer les difficultés


Sous son aspect de fortitude, la patience permet d’accepter les difficultés associées à l’accomplissement d’une grande tâche, la poursuite d’un chemin spirituel notamment. Une telle patience nous permet d’embrasser avec enthousiasme la vie simple, mais rude d’un ermite dans un lieu retiré, la chaleur et le froid, en vue d’accomplir ce qui compte vraiment pour nous dans l’existence.


Ne pas craindre le sens profond


C’est la patience qui nous permet d’avoir l’esprit suffisamment ouvert et «courageux» pour appréhender le sens profond des enseignements et de comprendre que la réalité est impermanente, interdépendante et, en ultime analyse, dénuée d’existence propre, autant de conclusions qui vont à l’encontre de nos perceptions ordinaires. Comme le montre également Helen Monnet, la vraie patience est une force et non pas un signe de faiblesse. Il ne s’agit pas de tout laisser faire passivement. La patience nous donne la capacité d’agir de façon juste, sans être aveuglés par la haine et le désir de vengeance qui nous privent de toute faculté de jugement. Ainsi que le souligne souvent le Dalaï-lama, la tolérance ne consiste pas à dire : « Allez-y, nuisez-moi, je ne dirai rien ! » La patience n’est ni soumission ni abandon, mais s’accompagne d’un courage, d’une force d’âme et d’une intelligence qui nous épargnent d’inutiles tourments mentaux. La patience consiste finalement à choisir la solution la plus altruiste. Comme le disait Gandhi : « Si l’on pratique “ œil pour œil, dent pour dent ”, le monde entier sera bientôt aveugle et édenté. » Plutôt que d’appliquer la loi du talion, n’est-il pas préférable de délester son esprit du ressentiment qui le ronge et de cultiver une bienveillance sans limites qui s’accompagne d’une patience infinie, spontanée, libre d’effort ?

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