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LE PASSAGE DU NORD-OUEST: UNE NOUVELLE VOIE MARITIME OU UNE BELLE ILLUSION ?

Dans les grands espaces de l’extrême Nord se dessine avec de plus en plus de précision la perspective de l’ouverture d’une nouvelle voie maritime suite à la fonte des glaces de l’Arctique : il s’agit du Passage du Nord-Ouest qui s’ouvre au sud est sur la Baie d’Hudson et au nord ouest sur l’Océan Arctique.

En passant entre les Iles arctiques du grand-nord du Canada, ce passage offre plusieurs routes maritimes qui permettraient aux navires de joindre l’Océan Atlantique au Pacifique.

En 2007 le passage a été rendu temporairement praticable, devenant un important enjeu économique puisque il raccourcit considérablement le trajet maritime actuel entre l’Europe et l’Extrême Orient. Ainsi, la route Rotterdam-Tokyo est longue de 15.900 km par le passage du Nord-Ouest, au lieu de 21.000 km par le Canal de Suez ou de 23.300 km par le Canal de Panama. Or la longueur du parcours est un élément décisif de la rentabilité d’une voie maritime.

Une incertitude demeure sur la vitesse réelle de ce retrait des glaces, mais les scientifiques s’accordent sur un point : avec le changement climatique, la banquise estivale de l’Arctique canadien devrait disparaître d’ici 20 à 30 ans environ. Seule subsisterait dans l’océan Arctique une banquise permanente, dont l’étendue demeure inconnue et que le réchauffement grignoterait peu à peu.

L’ouverture potentielle des mythiques routes maritimes du Nord- Ouest (au nord du Canada) et du Nord-Est (au nord de la Sibérie) a relancé le débat de la souveraineté sur ces eaux. En particulier, Washington a réaffirmé son refus de reconnaître la souveraineté canadienne sur les eaux du passage du Nord-Ouest. Depuis 1969 les Etats-Unis, préoccupés par l’évacuation du pétrole de l’Alaska, décidèrent de tester le passage en envoyant symboliquement le pétrolier Manhattan pour forcer les détroits. Les Etats Unis ont répété ces gestes, provocant la réaction du Canada, qui en était arrivé à annoncer la création d’une flotte de brise-glace pour la garde côtière canadienne. Ottawa a ainsi cherché à confirmer sa présence dans l’Arctique. Il s’agissait de « porter le drapeau » dans cette région longtemps négligée, de démontrer une « occupation effective » pour satisfaire au critère fondamental du droit international exprimé au cours d’un arbitrage international lors d’un différend avec les États-Unis. Il est essentiel, en droit, de manifester sa présence et son intérêt continu pour revendiquer la souveraineté sur un territoire

Toutefois ce point juridique n’a pas été totalement clarifié et le gouvernement canadien considère ce passage comme faisant partie de ses eaux intérieures, tandis que les Etats-Unis et l’Union Européenne le contestent, en considérant cet espace comme un détroit international avec libre passage. Dans ce cas, le Canada, tout en ayant le droit d’émettre des réglementations dans les domaines de la pêche, de l’environnement, de la lutte à la contrebande, de la sécurité de la navigation, n’aurait pas le droit de fermer ce passage à la navigation ni de le soumettre à des règles issues de son propre système juridique. A ces considérations liées à la liberté de navigation, il convient d’ajouter celles liées à l’exploitation des ressources naturelles : la région pourrait contenir 13% des réserves de pétrole et 30% des réserves de gaz naturel de la planète. Par ailleurs des minerais précieux se trouveraient dans le sous-sol.

Mais explorer et produire dans ces conditions extrêmes est risqué pour l’écosystème et coûteux et complexe pour les entreprises. D’ailleurs l’enthousiasme pour ces réserves potentielles de pétrole est redescendu en même temps que le prix du baril. Shell a même renoncé volontairement à 30 concessions de prospection pétrolières et gazières, ce qui a permis de créer une nouvelle aire maritime protégée où la prospection et l’exploitation d’hydrocarbures ou encore de minéraux seront interdites

L’impact réel de l’ouverture de ces nouvelles routes maritimes qui nourrit des craintes et des espoirs doit être tempéré :

Tout d’abord, qu’il s’agisse du trafic de conteneurs ou de transport de vrac (ciment, pétrole, céréales, minerais), la tendance est à l’augmentation rapide de la taille des navires. Ainsi dans le secteur du porte-conteneurs, la capacité maximum de transport d’un navire est passée en 30 ans de 4000 à 20000 EVP aujourd’hui. Le gigantisme des navires se traduit par la nécessité de chenaux profonds, larges et aux eaux prévisibles. Or, la faible profondeur des détroits méridionaux du passage du Nord-Ouest impose le recours à des navires de taille réduite : la profondeur de 13 m du détroit Union est tout juste suffisante pour des navires de type Panamax (12 m de tirant d’eau), mais bien insuffisante pour des navires plus grands.

Le transit par les chenaux plus profonds des détroits de McClure ou du Prince-de-Galles pose les questions du rythme auquel cette région se libérera de ses glaces pluriannuelles. Par ailleurs, comment les morceaux de la banquise permanente polaire dériveront-ils lorsque celle-ci se désagrégera. Une controverse se fait jour à ce sujet : les blocs de glace seront-ils poussés vers l’archipel arctique par les grands courants de Beaufort ou demeureront- ils dans l’océan Arctique après une possible inversion des courants, liée au développement des dépressions induit par le réchauffement?

En tout état de cause, les océanographes s’accordent sur plusieurs points : la banquise se reformera chaque hiver, avec une très grande variabilité d’une année sur l’autre dans l’extension de cette banquise et dans son calendrier d’évolution. Autrement dit, même dans un climat largement réchauffé, il y aura des hivers rigoureux avec une prise précoce de la glace et une fonte plus tardive. Il en résultera une grande incertitude pour les armateurs quant au calendrier de l’ouverture de la navigation dans le passage du Nord-Ouest, ce que l’industrie du transport maritime n’aimera guère en particulier pour les trafics de ligné régulière. De plus, il faudra utiliser des navires à coque renforcée, car la glace dérivante constituera toujours une menace ; sinon, il faudra naviguer à vitesse très réduite ou prendre le risque que les assureurs refusent d’assumer la couverture du navire. Par ailleurs, la fonte des eaux du Grœnland pourrait provoquer l’apparition de nombreux icebergs dans la baie de Baffin, rendant la navigation durablement plus dangereuse.

Enfin, il faut savoir que les compagnies maritimes de marchandises conteneurisées fonctionnent en mode « juste à temps » : elles ne garantissent pas seulement le transport mais aussi un délai de livraison précis pour limiter la constitution de stocks des chargeurs. Transiter par le passage du Nord-Ouest permet, certes, de réduire la distance, mais, en été, il risque d’y avoir des glaces dérivantes, poussées par les vents et les courants. Ceci pourrait considérablement ralentir la vitesse et faire perdre ainsi l’avantage d’une distance plus courte, voire même bloquer tel ou tel détroit, entraînant des retards coûteux en termes de pénalités financières et de fiabilité. De plus, naviguer en hiver demeurerait impossible, ce qui signifie qu’il faudrait modifier les itinéraires et le système logistique deux fois par an, un processus complexe et onéreux pour les armateurs. Investir dans des navires à coque renforcée est par ailleurs d’un coût élevé ce qui pèse sur la rentabilité. Il faut également un équipage expérimenté et des équipements spécifiques en cas de navigation sans escorte de brise-glace : projecteurs nocturnes, radars puissants, hélicoptère embarqué pour la reconnaissance préalable des détroits.

On ne peut donc s’attendre à voir à brève échéance ce type de navire emprunter en nombre et de façon régulière les eaux arctiques. Le transport de vrac qui est un trafic à la demande non régulière, pourrait échapper à ces aléas et plus facilement emprunter le passage dans sa partie méridionale, avec des navires renforcés.

Le passage du Nord-Ouest (au nord du Canada) devra faire face, pour certains trafics de transit, à la concurrence de la route maritime du Nord- est, (au nord de la Sibérie). D’une longueur comparable à celle du passage du Nord-Ouest, cet itinéraire bénéficie de la présence de brise-glace russes beaucoup plus puissants, de ports en eau profonde échelonnés le long du trajet, d’un savoir- faire russe éprouvé et d’une fonte des glaces estivale bien plus importante que dans l’Arctique canadien. Celui-ci a vu la surface des glaces diminuer de 1,6%, tandis que l’Arctique russe en a perdu 12% par période de 10 ans depuis 1979.

La politique actuelle donne-t-elle les moyens au Canada de contrôler un éventuel trafic maritime en expansion? Par ailleurs l’’important programme d’acquisitions et d’infrastructures qui serait à mettre en œuvre par le gouvernement canadien est-il compatible avec la capacité financière de celui-ci ? On peut à juste titre se demander si les risques ciblés sont les bons.

Et de quelle expansion du trafic parle-t-on? : Les incertitudes du changement climatique pour la navigation dans ces zones, l’importance des changements et des risques qu’ils induisent pour les armateurs impliquent à court terme une observation vigilante de l’évolution des conditions de navigation par les pouvoirs publics et les entreprises ainsi qu’un travail juridique sur les modalités d’exploitation des navires dans ces zones extrêmes. Tant que les clarifications nécessaires ne seront pas intervenues, il est peu vraisemblable que des changements radicaux et rapides apparaissent dans le recours à ces routes maritimes

Giorgio MONACO SORGE

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