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Revenu universel: Les machoires de la modernité

L’approche de l’élection présidentielle va sans doute relancer le projet de création d’un revenu universel. L’idée, dans sa version simplifiée, est d’attribuer un revenu de base garanti à toute personne sans condition de recherche d’emploi ou de compensation d’un handicap social ou personnel. Ce projet tire une conséquence radicale de la baisse tendancielle du travail comme facteur de production de l’économie sous l’effet de la délocalisation des emplois peu qualifiés et de la numérisation galopante des activités dans tous domaines. Contrairement à une constante historique le travail sera de moins en moins considéré comme le moyen essentiel de subsistance. L’idée est que les économies et gains de productivité générés par ces nouveaux outils permettent d’assurer le financement de ce revenu universel. Ceci sans qu’aucune réflexion collective n’ait été engagée sur les conséquences d’une disparition de la valeur travail, un des principaux piliers de notre société. Nombre d’emplois sont certes fastidieux, peu gratifiants, segmentés dans une chaine de production et précaires. Ils n’en sont pas moins source de socialisation, de valorisation de l’effort et d’affirmation de soi. Dans un registre proche, Le développement du télétravail pour cause de Covid, porté aux nues dans un premier temps a vite montré ses limites face à la solitude et à la claustration domestique qu’il a générées. Qu’en sera-t-il lorsque les bénéficiaires du revenu universel seront enfermés à la maison sans même le bénéfice d’une activité professionnelle sous écran ? Le revenu universel a pour vertu non négligeable d’assurer à chacun un filet de protection solide. Ses défenseurs font le pari que cette libération de l’individu les conduira ipso facto vers des tâches créatives, socialement utiles et épanouissantes. Le règne du temps libre peut-il à lui seul susciter ce type d’évolution ? C’est sans doute possible pour la partie de la population la plus structurée et avantagée dans les domaines de la santé, de l’éducation et de la culture qui favorisent l’ouverture au monde et aux autres. Qu’en sera- t-il pour les catégories défavorisées socialement ou vivant dans des zones déshéritées qui souffrent déjà de la solitude et de l’absence de structures, et qui sera happée par les mirages de l’inactivité. La disparition de l’emploi sans invention de mécanismes alternatifs d’intégration risque de précipiter nombre d’êtres humains dans l’engrenage de la solitude qui conduit aux mondes virtuels (TV, réseaux sociaux etc.) qui mènent à leur tour à la double perte de contact avec à la réalité et de l’utilité sociale. L’interaction entre ces phénomènes aura des conséquences anthropologiques lourdes qui restent à explorer. Que deviendra l’Homme pris une fois de plus dans les mâchoires de la modernité ? Quelle alternative à la disparition du travail ? comment lui redonner de la valeur ? quelle politique d’accompagnement ? « L’homme nouveau » risquera d’être vite perçu comme superflu, encombrant, parasitaire. On peut deviner où cela conduit. Aucun débat n’a encore été engagé sur ces changements fondamentaux. Allons nous plonger à corps perdu vers ces mirages où l’Homme risque de se perdre en assimilant à nouveau progrès technique et progrès tout court.


Edouard Berlet

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