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ERNEST RENAN: VERS UNE FOI CONTEMPORAINE

VIE de JESUS d’Ernest RENAN : quelques raisons de le (re)lire

(les pages citées sont extraites de l’édition de Poche (édition de Jean Gaumier))

Avec beaucoup d’érudition et une démarche de chercheur, Ernest RENAN se propose dans sa fameuse « Vie de Jésus », qui lui a valu les foudres de l’Eglise Catholique, de se pencher sur l’homme « Jésus ». Il s’intéresse d’abord à son milieu, son éducation, la société juive et palestinienne de son temps, les influences religieuses, philosophiques, politiques liées notamment à la colonisation romaine et à la puissance des institutions religieuses juives, en particulier dans la ville de Jérusalem. Il examine la relation de Jésus avec sa famille, avec Jean Baptiste, fondateur de l’une des nombreuses sectes qui prêchent avec succès à cette époque. Il examine sa façon de plaire à ses contemporains et d’attirer les foules. Il s’interroge aussi sur la manière dont l’enseignement de Jésus a pu être le fondement d’une religion aussi répandue, développée et puissante à l’échelle du monde civilisé.

Sur le fond, Renan pointe avec précision ce qu’apportent de vraiment révolutionnaire les idées et paroles de Jésus, par exemple l’idée « absolument neuve » d’un culte fondé sur « la pureté du cœur », idée que Renan estime avoir été trahie par l’Eglise (p. 198). Il s’interroge aussi longuement sur la véracité et l’utilité des miracles, condition pense-t-il du succès de l’ enseignement du Christ auprès de ses contemporains. Il fait toujours la part des choses entre ce que les « auteurs des Evangiles » ont écrit et ce qu’il s’est réellement passé. Il insiste sur la présentation qui est faite des pharisiens, et de leur « hypocrisie officielle » que l’on peut tout à fait rapprocher de celle d’aujourd’hui et du « cléricalisme » dénoncé y compris par le Pape François. Il montre l’opposition entre la religion d’observance et la « religion du cœur » (p.396), entre les « préjugés de race » et « l’esprit de l’Evangile » (p.409). Il considère que Jésus est « le créateur de la religion universelle de l’humanité » (p.398). Il oppose d’un côté la Galilée, « soleil du Royaume de Dieu », où règne l’ « aimable communisme galiléen de Jésus» c’est-à-dire « le Royaume de Dieu conçu comme l’avènement des pauvres » et d’autre part Jérusalem, lieu du Temple et des institutions, « vraie patrie du judaïsme obstiné » (p.177). Il note aussi l’attitude très originale de Jésus à l’égard des femmes : « le sentiment extrêmement délicat qu’on remarque en lui pour les femmes…Il traite en sœurs…les femmes qui s’éprenaient de la même œuvre que lui » (p.184).

Renan critique la théologie : « rien n’est plus loin de la théologie scholastique que l’Evangile » (p.187).

Pour lui le christianisme instaure une religion « dégagée de toute forme extérieure » (comprendre les rites). Préparer et « attendre le Royaume de Dieu sera synonyme d’être disciple de Jésus ». La séparation que propose Jésus entre religion et politique (rendre à César ce qui est à César) créée « quelque chose d’étranger à la politique, un refuge pour les âmes au milieu de l’empire de la force brutale ».

Renan fait preuve d’une admiration sans bornes et d’une amitié profonde pour Jésus, il lui attribue le fondement de l’humanisme. Il considère que l’essentiel du message réside dans l’annonce du Royaume de Dieu « Ce vrai royaume de Dieu, ce royaume de l’esprit, qui fait chacun roi et prêtre ; ce royaume qui, comme le grain de sénevé, est devenu un arbre qui ombrage le monde, et sous les rameaux duquel les oiseaux ont leur nid, Jésus l’a compris, l’a voulu, l’a fondé » (p.358).

Il montre aussi avec pondération et précision les erreurs des Evangiles, les contradictions et autres impossibilités.

Que peut-on dire de la foi de Renan ? Je répondrais qu’il a écrit ce livre à destination des croyants comme des incroyants, nombreux parmi les intellectuels « positivistes » de son époque, et qu’il ne prend pas la liberté de livrer le fond de sa relation à Dieu. Il fait un travail de chercheur. Je citerai cette phrase, page 423, à propos de la mort de Jésus sur la Croix « La mort allait dans quelques jours lui rendre sa liberté divine et l’arracher aux fatales nécessités d’un rôle qui à chaque heure devenait plus exigeant ».

En conclusion, je trouve ce texte riche de pistes pour soutenir la foi aujourd’hui. Il apporte les raisons de ne pas s’attacher servilement aux textes, qui comportent des erreurs et des contradictions, mais d’en dégager l’esprit. L’Evangile est fait pour s’adapter à toutes les époques à condition de le lire avec liberté et souplesse d’interprétation, de se laisser guider par l’effet qu’il produit sur nos esprits et nos sensibilités. Le texte de Renan contient aussi un juste partage entre les connaissances que nous apportent les sciences, et ce qu’apporte la religion, le règne de l’Esprit, celui qui fait peut faire accéder chacun au Royaume de Dieu. Enfin, il ouvre la perspective de voir dans les idéaux de la Révolution française et dans la promotion contemporaine des droits de l’homme, l’œuvre de Jésus.

L’attitude très opposée de l’Eglise de l’époque à ce texte a été certainement une erreur, une des nombreuses erreurs qui vont conduire l’Eglise où elle se trouve aujourd’hui. Le Concile Vatican II, en instaurant de manière claire la liberté religieuse, en revisitant les rites et certaines croyances et en promouvant le rôle que doivent jouer les fidèles laïcs a courageusement tenté de la remettre sur de bons rails. Nous attendons encore sa pleine application.

Martine BERLET

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