JEAN VANIER...MALGRE TOUT : LES REACTIONS AU MESSAGE DE MARTINE
Emmanuel de TARLE réagit
L’article de Martine m’inspire les réflexions suivantes :
Premièrement, il y a l’oeuvre l’Arche créée par Jean Vannier que personne ne remet en cause. Son action est reconnue partout et cette association fait énormément de très belles choses grâce à ses volontaires et salariés et avec l’aide financière de l’état. Ce n’est pas le sujet aujourd’hui. Il faut bien séparer l’action de Jean Vannier qui a participé à la création et au développement de l’Arche, de sa conduite personnelle.
Deuxièmement, tu évoques l'attitude de l’Eglise sur la sexualité …
Vaste sujet qu’il faut analyser et comprendre à chaque époque dans le contexte philosophique et social de l’époque.
La vision de la société depuis un siècle a considérablement évolué au sujet de la sexualité.
Aujourd’hui, grâce en particulier au progrès de la médecine et de la science, sexualité , plaisir, conception (et contraception), amour sont des sujets disjoints qui ne se rejoignent que de temps à autre à certains moments de la vie de chacun.
Voici le nouveau cadre dans lequel l’Eglise doit se projeter aujourd’hui.
Il est impératif que l’Eglise évolue et propose des réponses aux attentes de la société sans renoncer à ses valeurs essentielles : amour, respect de la vie, solidarité…
Troisièmement, les déviations sexuelles ,
Quelle est la part des ecclésiastiques qui ont un problème avec leur engagement de célibat? Nous ne le savons pas.
Il y a ceux qui ont renoncé à leur voeux et qui ont quitté leur statut de prêtre ou consacré pour être en accord avec leur vie; il y a ceux qui mènent une double vie et il y a ceux, combien? , qui sont profondément déviants…. La Commission Sauvé nous donnera quelques informations qui permettront peut-être d’appréhender l’ampleur de la population concernée,
La, où cela devient infiniment plus choquant, c’est que l’ecclésiastique ou assimilé professe et justifie son célibat, son respect de l’autre et en particulier du plus faible au nom de sa foi et que, dans quelques cas, souvent pour des raisons médicales, il « dérape grave ». Dans ce cas, c’est en effet « double faute » et c’est cette double faute qui choque, à juste titre, énormément nos concitoyens .
La réaction de Laurence TEULIERES
Comme vous tous, j’ai connu la sidération à l’annonce des abus spirituels et sexuels de Jean Vanier, Comment un homme qui a créé une œuvre aussi magnifique pouvait-il cacher une face aussi sombre ? Jean Vanier n’était pas clerc. S’il l’avait souhaité, rien ne l’empêchait donc de prendre femme, d’autant plus qu’il avait pris ses distances avec l’Arche depuis 1980. On ne peut donc incriminer l’Eglise pour expliquer cette conduite déviante.
Parler de la « diabolisation de la sexualité » par l’Eglise catholique est un mauvais procès. Au contraire des autres religions, l’Eglise a développé une vraie « théologie du corps », très travaillée par Jean-Paul II , et dans la continuité de ses prédécesseurs. « Là où l’on ne considère pas la sexualité humaine comme un don du Créateur, le fait d’y renoncer pour le Royaume des cieux perd son sens » écrivait-il. Non l’Eglise n’a jamais été l’ennemie de la sexualité et de l’amour charnel et le puritanisme n’a jamais été une vertu prônée par l’Eglise (mais par les Calvinistes). Mais il est vrai que pour l’Eglise la sexualité se vit à l’intérieur du couple et sa position sur les relations sexuelles hors mariage, l’homosexualité, la contraception en découle. Il n’est pas certain que la conception musulmane de la sexualité soit plus épanouissante, en tous cas pour les femmes !
Tous les scandales qui ont éclaté ces derniers mois, dans le monde du sport, du spectacle, des arts, sans parler de ces très nombreux enfants abusés par leur père (ou leur beau-père), nous montrent que toute la société est concernée par des abus de pouvoir et d’emprise sur des plus vulnérables. Et pourtant, un célibat imposé ne peut expliquer les déviances sexuelles de ces adultes qui, pour la plupart, vivaient en couple au moment des faits. De même, le célibat vécu depuis des siècles par des clercs ou des laïcs ne mène heureusement pas au viol ou à la pédophilie !
Enfin, l’Evangile nous donne l’exemple de l’Amour pour les plus humbles et les plus vulnérables et celui du Pardon, pardon pour le pécheur mais pas pour le péché. Le Christ conclut sa rencontre avec la femme adultère par « Va et désormais ne pèche plus ». Après leur rencontre avec le Christ, Marie-Madeleine la libertine et la Samaritaine, « la femme aux cinq maris »qui n’étaient pas les siens, abandonnent leur vie d’avant. C’est la conversion à laquelle nous invite l’évangile.
La réaction de Sylvie von LOWIS
Chère Martine, ton article sur Jean Vanier m’a interpellée et, confinement oblige, j’ai pris le temps de me pencher plus avant sur le sujet.
Je partage avec toi l’admiration pour l’œuvre de cet homme qui a ouvert le monde à une approche nouvelle, humaine et généreuse du handicap. Le bien qu’il a fait en ce domaine n’est pas remis en question et demeurera.
En revanche l’image de l’homme risque d’être entachée de son propre fait et non pas, à mon avis, parce qu’il a été « victime de la perversion sexuelle sur laquelle l’église catholique a fondé sa pratique ».
Jean Vanier n’était pas prêtre et donc aucunement lié par le vœu de chasteté.
Ce qui lui est reproché, suite à une enquête diligentée par un cabinet anglais et dont j’ai lu les conclusions, c’est d’avoir eu un comportement mêlant emprise spirituelle et abus sexuel, comportement en totale contradiction avec les valeurs qu’il revendiquait de respect et d’intégrité des personnes et que prônaient les communautés de l’Arche.
Par ailleurs, concernant plus particulièrement l’église catholique, il lui est reproché d’avoir menti au sujet des relations qu’il entretenait avec le père Thomas Philippe, sévèrement condamné par Rome pour abus sexuels en 1956. Malgré ses dénégations publiques, Jean Vanier était au courant des faits et gestes du père Thomas qu’il a toujours considéré comme son père spirituel et dont il partageait étroitement les idées et certaines attitudes. Suite à cette découverte, la communauté religieuse s’est sentie trompée et flouée par cet homme qu’elle portait aux nues …
Donc je ne partage pas tout à fait ton avis sur l’origine de ce que tu considères comme une victimisation de Jean Vanier. Mais hormis, cette remarque, il est sûr que l’approche de la sexualité par l’église catholique constitue une véritable question qui mérite réflexion. D’ailleurs Rembert partage tout à fait avec toi le constat de la diabolisation de la sexualité par l’église catholique.
Un nouveau sujet à débattre sur le bateau ou ailleurs...
La réaction de Jean TOUSSAINT
.
A la lecture du billet consacré à Jean Vanier, je ne peux m’empêcher de m’interroger. Est-ce si simple ? Un homme respecté et admiré par tous se révèle avoir commis des abus. Il faut bien un coupable, comme il est inconcevable qu’il le soit, on recourt à une entité, l’Eglise, et le coupable présumé devient une victime. Circulez, la messe est dite.
Si ce raisonnement est juste, je ne vois pas pourquoi ne pas l’appliquer à nombre de criminels pédophiles, eux aussi admirés et respectés. De brandir une autre entité, comme la famille, et d’en faire eux aussi des victimes.
Loin de moi l’idée de minimiser ce qu’a révélé l’accumulation d’affaires d’abus dans l’Eglise : non seulement le maintien d’une représentation archaïque de la sexualité, mais aussi et peut-être surtout une faille systémique, qu’il faudra du temps pour réparer.
Après s’être focalisé sur l’Eglise, le zoom médiatique s’est dirigé vers d’autres milieux : l’éducation, le sport, le spectacle, la politique… dont on ne peut pas dire qu’ils rassemblent tous des bigots sous l’influence perverse de l’Eglise. Alors ?
Alors, il nous faut sans doute accepter d’aller au-delà de l’explication institutionnelle, pour prendre en compte notre condition humaine, faite d’ombres et de lumière. Accepter de reconnaître qu’en chacun d’entre nous il y a de l’ombre, que l’obsession actuelle de transparence transforme en tabou.
Seule cette reconnaissance peut donner lieu à une justice qui ne soit pas règlement de comptes et à la vraie miséricorde, dont nous avons tous besoin.
Pierre-Etienne BISCH réagit :
Je voudrais apporter ma contribution à la très intéressante discussion engagée par Martine, en restant dans mon champ de connaissances.
Pour le cas de Jean Vanier, si on peut tenir pour établis les faits disponibles sur internet (?), je serais assez fermement pour le rappel de la responsabilité de chacun devant ses actes. La prise en considération de l’état des mentalités au moment des faits ne saurait évidemment justifier aucune indulgence. Pas de « relativisme » ...
Il y a eu abus d’autorité et cet abus a puisé dans l’accompagnement spirituel la plus grande partie de sa force, ce qui le rend encore plus inexcusable.
L’opacité et le cloisonnement ont longtemps protégé les fonctions d’autorité de tout regard extérieur. C’est cette « discrétion » bien ordonnée qui a permis à Jean Vanier comme à bien d’autres de mener une remarquable action au service de l’Eglise et des plus fragiles, tout en conservant profondément enfouie la contradiction entre cette « œuvre » et les actes qui lui sont reprochés.
Oser invoquer Sainte Beuve et distinguer l’homme de son œuvre serait provocateur et je ne m’y risquerai pas. En revanche, il n’y aurait pas de raison de détruire l’œuvre parce que l’homme a failli. Il peut suffire de le reconnaitre en toute clarté, en posant des mots sur les actes, sachant que toute action de justice est éteinte à présent.
La question du célibat des prêtres ne concerne le cas « Jean Vanier » que de façon indirecte, par sa proximité avec le père Thomas et par la place centrale de l’Eglise dans toute sa démarche. Sur ce thème du célibat des prêtres, j’avancerais avec prudence, par manque de formation approfondie. En Europe, sous réserve de la dimension purement spirituelle, il me semble que nous sommes assez nombreux à approuver l’exemple des religions protestante, anglicane ou juive. Malheureusement, l’Eglise catholique est ainsi faite qu’elle prend le plus souvent ses décisions à son échelle qui est l’échelle planétaire, alors que l’évolution des contextes et des attentes sociétales diffèrent grandement d’un continent à l’autre. Le cas du célibat des prêtres en est probablement l’un des exemples les plus frappants : comment progresser si la décision doit être commune à l’Europe, l’Afrique, l’Asie et l’Amérique latine ? Comment ne pas admettre que les mentalités y sont encore très différentes ?
Le Saint Père a beaucoup œuvré pour alléger les effets paralysants d’une gouvernance mondiale et promouvoir des marges de manœuvre « continentales ». Je ne suis pas certain qu’il ait pu atteindre les objectifs qu’il s’était fixés au début de son pontificat.
Je souhaite d’excellentes fêtes de Pâques à chacun.
Moutzi d’Ornant témoigne
Bonjour
J’ai suivi la réflexion de martine et les réactions qui ont suivi sur jean Vanier avec intérêt
Je n’ai pas réagi sur l’instant, car ayant bien connu Jean Vanier, j’étais dans la sidération, puis totalement effondrée : Non Jean pas lui… je l’ai rencontré car très proche de la communauté de l’arche crée à Nancy . Jean y est venu plusieurs fois pour la mise en route d’abord puis pour rencontrer les accueillis , les assistants et les amis avec une attention à chacun, une humilité et en même temps une force extraordinaires..
Je l’ai également rencontré à Trosly lors d’une retraite. Même sentiment : chaque mot avait du sens ..toujours plein d’humilité
Il s’économisait et en même temps se donnait : fort dans sa grande faiblesse surtout à la fin de sa vie..
Je vous raconte cela pour vous témoigner non de mon incrédulité, mais d’une tristesse infinie qu’il ait pu vivre dans tant de mensonge et de déni pour des actes aussi abominables... En fait il n’a pas voulu être prêtre peut-être parce que ses supérieurs avaient exigé qu’il ne voit plus le père Philippe… bien connu par Rome… mais là je sens que je vais trop loin. » Car années après années il a continué à le rencontrer et rester prisonnier de son influence. En utilisant les mêmes méthodes « d’accompagnement spirituel sous emprise ». Comme le dit Jean Toussaint il y a chez tout homme une part d’ombre et de lumière que nous ignorons.
Mais je ne peux pas pour l’instant, trouver d’excuses à Jean.. Cette vie à double face dans le mensonge aussi destructeur.
Voilà je ne suis pas rentrée dans l’analyse de ce que ferait ou devrait faire l’église. J’en suis bien incapable, mais les uns et les autres l’avez fait de façon approfondie et percutante. Selon votre ressenti »
c’était simplement un coup de gueule » de ma part..
Dominique Saint-Macary réagit
Ce débat sur Jean Vanier se prolonge sur l’Église telle qu’elle est ou devrait être, voyons ces deux thèmes.
Tout d’abord, Jean Vanier : pour moi, Jean n’était pas soumis au vœu de chasteté et il aurait pu avoir toutes les relations voulues, dans le respect des personnes ; la chasteté, entendue au sens large, exprime d’ailleurs ça aussi et nous sommes tous appelés à cette forme de chasteté. Mais c’est justement là que ça coince : Jean aurait, d’après les personnes qui se sont confiées, abusé de son aura en faisant croire aux personnes concernées que c’était une relation toute spirituelle, et obtenu de la sorte un consentement faussé. L’Église, dans le cas du mariage, constate (et non décrète !) la nullité de l’union si le consentement n’a pas été libre. Le Père Thomas, qui a été le mentor de Jean pendant longtemps, malgré des faits avérés à son encontre, son frère Marie-Dominique Thomas, et d’autres sans doute, ont été à l’initiative de cette spiritualité dévoyée, que j’appelle « perversité ». Pour Jean, paix à son âme évidemment, mais il me semble que nous touchons du doigt le fait qu’il était un homme et rien qu’un homme. La grande noirceur de ce petit morceau de sa vie au sein de sa très grande « luminosité » (ce n’est pas le bon mot, mais je ne trouve pas…), là où, chez la plupart d’entre nous, de petites noirceurs accompagnent de petites luminosités, nous oblige à faire la part des choses : ne jetons pas le bébé avec l’eau du bain ! Gardons de Jean son image souriante, son immense compassion à l’égard des personnes handicapées et des pauvres de toute sorte qui a marqué le regard de tant de gens. Mais n’oublions pas qu’il était un homme et nous aussi. Gardons-nous de proclamer saint qui que ce soit !...
En ce qui concerne l’Église, je voudrais rappeler que dans l’Évangile, on trouve deux paroles du Christ instituant l’Église : d’une part, celle que nous connaissons tout : « Tu es Pierre et sur cette pierre… » qui institue une Église hiérarchique et masculine. Mais aussi « Mère, voici ton fils, Fils voici ta mère » qui se trouve dans l’évangile de Jean, et qui instaure une Église de frères, de relations. On a beaucoup oublié ça depuis les premiers temps et l’expansion du christianisme, mais on parle encore de « notre sainte mère l’Église ». S’il est vrai qu’il faut une hiérarchie pour organiser les choses, l’Église n’est pas au service de cette hiérarchie ! L’Église, c’est nous ! Nous tous, hommes et femmes, qui avons à la faire vivre telle qu’elle doit être. Au 19ème siècle, les positions de l’Église se sont énormément durcies sur des sujets comme le bonheur (que j’ai étudié) ou la sexualité et beaucoup d’entre nous en demeurent marqués. Il y a eu un grand renouveau au Concile Vatican II sur bien des sujets, mais c’est surtout le Pape François qui œuvre aujourd’hui sur ceux-là.
Sur le fait que les jeunes s’éloignent de l’Église à cause de ces positions, je ne le crois pas : les protestants constatent le même recul malgré des positions bien plus ouvertes. Ce qui « marche » aujourd’hui, ce sont les mouvements très émotionnels, comme les évangéliques ou l’Emmanuel ou le Chemin neuf, etc… Personnellement ça ne me convient pas : la foi n’est pas une émotion mais une confiance qui permet d’avancer. Moi aussi, je regrette évidemment beaucoup que mes enfants ne soient pas plus impliqués, mais j’espère avoir fait mon boulot, le reste ne m’appartient pas. En revanche, j’espère être « située » pour eux comme crédible humainement du fait de mon engagement.
Et puis sortons de notre complexe de laïcs, « pioupious » aux ordres d’une hiérarchie ! Regardons ce qu’il y a de bon dans ces enseignements, ce qui sert notre « vivre ensemble » pour reprendre une expression rebattue ou notre « fraternité », et voyons ce qui nous énerve, mais là encore, ne jetons pas le bébé avec l’eau du bain ! Discutons ensemble, hommes, femmes, clergé, laïcs de ce qui nous concerne. En effet, c’est absurde qu’une assemblée de vieux garçons dicte aux femmes ce que doit être leur sexualité et leur contraception… on s’étrangle de rire ! En revanche, qu’elle prône la « chasteté » au sens large, le respect de l’autre, de son consentement et de sa dignité, oui ! Je connais beaucoup de prêtres extrêmement ouverts sur ces questions, mais beaucoup c’est vrai sont coincés, les jeunes en particulier : devenir prêtre aujourd’hui, c’est tellement à l’encontre du sens commun, qu’il leur faut des appuis... Aidons-les à comprendre le monde dans lequel nous vivons et les personnes auxquelles ils ont affaire !
Les laïcs ne sont pas des « aides aux prêtres » comme dit mon curé, l’Église c’est eux aussi ! Informons-nous, formons-nous, prenons notre part, n’en restons pas aux souvenirs de notre catéchisme, obéissant en pestant ! « L’Église, une fraternité », c’est le slogan de notre paroisse pour cette année, que nous sommes tous invités à faire vivre, où que nous soyons, envers aussi bien sûr toutes les personnes qui n’en font pas partie !
Et puis enfin, je termine sur les sous : notre appartenance à l’Église se marque aussi par notre soutien financier ! Le denier de l’Église permet de faire vivre les prêtres, de payer des salles, de former des laïcs, etc… Ce n’est pas une question de générosité mais bien de responsabilité : ça se rapproche plus d’une cotisation à un club que d’une quête, mais ça va plus loin : l’Église est notre maison commune, dont la bonne marche nous incombe.
Voilà, j’aurais encore bien des choses à dire, mais il faut s’arrêter pour aujourd’hui. Merci de vos réactions…