VENISE: GRANDEUR ET DECADENCE D'UN EMPIRE MARITIME
L’histoire de Venise repose sur un paradoxe : quelques îlots du nord-ouest de l'Adriatique ont permis l'émergence de la capitale d'un empire maritime et commercial et l’avènement du plus grand port du Moyen Âge après Constantinople. Placée au fond du golfe le plus profond de la Méditerranée, la ville apparait au IXe siècle. Elle bénéficie d'une situation privilégiée sur les routes d'échanges avec le Saint-empire romain germanique, Byzance et le monde musulman.
La particularité essentielle et unique de Venise est le maintien de son statut de cité libre après la chute de l’Empire romain ce qui lui a permis de perpétuer sans interruption le régime, l'esprit et les usages des républiques antiques. Elle a échappé par miracle à l'invasion et à l’annexion par les grands empires. Elle a prolongé ainsi, jusqu'à la Révolution française l’ancienne forme de gouvernement de la Ville- Etat. L'histoire de Venise est aussi étonnante que Venise elle-même. Dès son indépendance au 8ème siècle, Venise connait un rapide développement intérieur et extérieur. Au-delà de ses frontières, la Sérénissime confirme à partir du 11 è siècle sa vocation maritime et étend grâce aux croisades son influence et ses établissements. Au temps des premières croisades, elle s'enrichit en fournissant des moyens de transport en Méditerranée aux croisés.
Durant le Moyen Âge et la Renaissance, la ville devient une grande puissance maritime (victorieuse lors de la bataille de Lépante en 1571 contre l'Empire ottoman) et atteint le statut de plus grande puissance économique de Méditerranée grâce à ses liens avec l'Asie et le Proche-Orient, dont le marchand et explorateur vénitien Marco Polo fut l'initiateur.
Elle est alors l'une des principales places commerciales d'Europe, notamment pour la soie, les céréales et les épices. Conduite par son Doge et ses grandes familles marchandes, Venise s'impose peu à peu comme le principal intermédiaire commercial entre l'Orient, dominé par les cultures musulmane et byzantine, et le monde occidental dominé par les cultures germanique et catholique. Au XIVe siècle elle règne avec Gênes sur le commerce de la Méditerranée.
Cette prospérité maritime s'explique par les avantages de sa situation géographique et par les caractéristiques de sa politique. Située entre la mer et la terre, protégée contre l'une par le Lido, contre l’autre par ses lagunes, elle est à l'abri des attaques et devient une place-forte quasi inexpugnable. Elle est placée au carrefour des régions commerçantes : d’un coté à l'extrémité de la route maritime qui de la Méditerranée orientale et la Mer Noire mène aux confins de l'Adriatique ; de l’autre côté, point de contact entre les routes en provenance de l’Asie et les voies européennes, elle crée une communication facile avec tous les marchés de l'Allemagne, de Flandre et de Scandinavie. En contact avec les hommes de tout pays, elle perd tout préjugé de nationalité ou d'origine, s'allie avec des Allemands ou des Turcs et n'écoute que la voix de ses intérêts.
En prenant une part active à la quatrième croisade de 1202 à 1204, (Venise avait assuré le transport par mer des Croisés), elle fonde de multiples comptoirs sur la route de l'Orient (Zara, Corfou). Elle participe au pillage de Byzance et à la partition de son empire. Les quatre chevaux dorés qui trônent au sommet de la Basilique Saint-Marc proviennent du butin ramené de l'ancienne Constantinople.
L'expansion de la cité s'appuie sur la Bourse du Rialto, où s'échangent les participations sur les cargaisons de navires. Cette bourse permet l'augmentation de la flotte commerciale et le quadruplement de la superficie de l'Arsenal de Venise, où se dressent ses puissants bateaux, dénommés « galères ».
La seconde moitié du XVe siècle voit l'apogée de la puissance de Venise : ses domaines s'étendent en Italie, des Alpes à Rimini et à Bergame; elle contrôle toutes les côtes de l'Adriatique de l'embouchure du Pô jusqu'à la Morée. Elle détient Zante, Chypre et Crète, a des comptoirs sur les côtes de la mer Noire et de la Caspienne, en Syrie et en Afrique du Nord.
Sa population grimpe à 200.000, habitants. Ses 300 grands navires et ses 3000 petits vaisseaux emploient 36.000 marins. Une flotte de guerre de 45 galères armées avec 11.000 hommes d'équipage, veille à la sûreté des mers.
Bien qu'à l'époque personne n’ait pu le deviner, la montée en puissance des Ottomans en Orient et l’ouverture de nouvelles routes maritimes vers l’Asie et vers le nouveau continent, l’Amérique, signifient à terme la fin de l’apogée maritime et commerciale de Venise et le transfert du centre des échanges avec le reste du monde de la Méditerranée vers l'Atlantique.
Le déclin des routes méditerranéennes au profit des nouvelles voies commerciales atlantiques et asiatiques ouvertes par le génois Christophe Colomb et la circumnavigation de l’Afrique par le Cap de Bonne-Esperance permettent l’exploration et la colonisation des continents hors d'Europe. Elles marquent le fin de cette grande époque de Venise, situation aggravée par l'avancée continue de l'Empire ottoman : la prise de Constantinople en 1453 lui fait perdre ses marchés, puis ses comptoirs en Orient. Au terme des traités de paix conclus avec les Turcs en 1479, 1503 et 1540, elle renonce à toutes ses possessions, à l'exception de la Crète, de Chypre, des îles Ioniennes et de quelques territoires en Albanie.
Au déclin extérieur succède la décadence intérieure. L’’amollissement des mœurs suit la perte des territoires. L'aristocratie, corps fermé n'ayant pas à défendre ses privilèges, choisit le plaisir comme unique occupation. Au XVIIIe siècle, la vie à Venise se réduit à un perpétuel carnaval. La Sérénissime se noie dans la nonchalance et la volupté. On ne voit que fêtes publiques et privées dans les mémoires des écrivains et les tableaux des peintres.
Toutes les vertus qui ont fait sa grandeur passée sont mortes, et la République est mûre pour l'invasion. Elle renaitra plus tard sous d’autres formes qui assureront sa présence intellectuelle et artistique en Europe.
Giorgio MONACO SORGE
La photo qui illustre ce texte représente des bras gigantesques qui tentent d’attirer Venise vers les fonds de la lagune. Œuvre d’art qui veut sensibiliser au réchauffement climatique