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QUI TIENT LA TERRE TIENT LA MER : UNE NOUVELLE APPROCHE DE L'HISTOIRE

OCEANIDES est sans aucun doute le programme de recherche le plus ambitieux dans le domaine maritime depuis bien longtemps. 260 chercheurs internationaux ont travaillé pendant cinq ans, afin d’analyser le rôle central de la mer dans l’histoire de l’humanité. Il en est résulté un ouvrage en 4 tomes intitulé « la mer dans l’histoire » qui a fait des petits « tout public » : Une version contractée d’une cinquantaine de pages publiée par le très sérieux Centre d’études stratégiques de la Marine et un « beau livre » intitulé « La grande histoire vue de la mer », signé de Christian Buchet, Professeur d’histoire maritime à la Faculté de lettres de l’Institut Catholique de Paris. L’auteur a réussi un très bel équilibre entre accessibilité et densité du texte d’une part et attractivité et qualité des cartes et illustrations d’autre part. C’est lui qui par ailleurs a piloté le programme de recherche internationale. Il sort du cadre de ce blog de tenter d’en faire un résumé de quelques pages qui serait dénué d’intérêt compte tenu de l’ampleur de ce travail. J’en présenterai donc certains axes particulièrement novateurs ou marquants en espérant donner au lecteur l’envie d’en savoir plus en allant directement à la source (1).

Cette œuvre collective est à l’origine d’une révolution copernicienne dans l’analyse historique en affirmant que la mer est le moteur de l’Histoire. Christian Buchet, par ailleurs membre de l’Académie de Marine, énonce le précepte suivant : « Les stratèges européens ont longtemps considéré que celui qui dominait le cœur des continents –l’Eurasie- dominait le monde, mais c’est celui qui domine le flux de marchandises et d’hommes grâce au contrôle des mers qui le domine ». Le groupe de chercheurs ne prend plus comme référence de l’Histoire le cadre territorial (national, politique) qui sépare, mais la mer qui unit les grands ensembles par voie d’échanges commerciaux, culturels, scientifiques etc. Cela conduit à appréhender les ensembles politiques non plus dans leurs confrontations mais dans leur participation à la synergie générale crée par la dynamique des flux grâce à la mer. Cette idée est longtemps restée minoritaire parmi les penseurs militaires et les historiens. Mais l’examen de l’histoire depuis l’empire romain, l’époque égyptienne, carthaginoise jusqu’à nos jours, conduit les auteurs à cette conclusion.

Citons bien sûr le cas bien connu des « grandes découvertes » qui grâce aux navigateurs (Vasco de Gama, Christophe Colomb, Magellan, Amerigo Vespucci) vont bouleverser l’équilibre politique et économique du monde : fin de la domination commerciale des doges de Venise en raison de la réorientation des flux commerciaux vers l’Atlantique, avènement de l’Espagne qui une fois sortie du carcan de ses rivalités terrestres avec les arabes après la prise de Grenade va se tourner vers le large et le commerce avec le nouveau monde, et affirmer ainsi sa puissance. Ce sont les marins qui ont permis de cartographier les continents. Ne l’oublions pas.

Dans l’histoire moderne, le cas russe est éloquent. Tant que la Norvège, le Danemark et la ligue hanséatique empêchèrent la Russie d’avoir accès au commerce de la mer Baltique, la Russie ne fut pas en mesure de se développer économiquement. C’est par la création au 18 è siècle d’une marine de guerre puis grâce à Pierre le Grand qui a ouvert à la Russie le contrôle des mers du nord avec la création de Saint-Petersbourg, que ce pays a connu le développement économique grâce à l’essor de son commerce maritime.

Le cas anglais illustre parfaitement le phénomène : En 1689, s’ouvre une seconde guerre de cent ans, moins connue que la première, entre la France et l’Angleterre avec pour objectif non pas les conquêtes territoriales mais la maitrise des mers vers l’Ouest et les marchés américains. Dans le bras de fer entre terre et mer, c’est la mer qui l’emportera une fois de plus. L’Angleterre viscéralement tournée vers les océans arrachera à la France continentale le sceptre de l’hégémonie mondiale. Elle créera cet « empire sur lequel le soleil ne se couchait jamais » grâce au commerce et à la création de la première grande zone de libre-échange. Ceci jusque la conférence de Washington en 1921 qui la conduisit à partager cette domination avec le grand frère américain. Celui-ci encaissa ainsi les dividendes de son intervention militaire qui fut décisive pour la fin du conflit.

L’Histoire n’est évidemment pas exempte de contre-exemples. Les entités politiques sont capables de se développer sans se tourner vers la mer, dont l’influence n’est toutefois jamais très loin. Citons le cas de l’Empire mongol qui négligeant les océans pacifique et indien auxquels il avait accès, créa un des plus vastes empires de tous les temps. Son objectif était seulement la conquête d’espaces terrestres. Selon les chercheurs, les mongols durent leur réussite à la fluidité de leur organisation et de leurs modes d’intervention, qu’ils partagent avec les marins. Ils surent en particulier grâce au développement et au maillage des caravansérails (lieux de halte accueillant pèlerins et marchands) créer un hinterland et un marché fluide et sans frontières sur un immense territoire. Par ailleurs le développement des caravanes favorisa le développement du commerce dans des conditions de mobilité proche du commerce maritime qui leur permit de couvrir une zone très vaste allant du Tibet à la mer noire, de la Chine à l’Iran. L’étude fait enfin le pari que si les mongols avaient construit des flottes, l’histoire de l’Afrique et de l’Amérique aurait été tout autre compte tenu de leur puissance.

Plus proche de nous, l’accès à la mer jouera un rôle clé dans l’issue de la première mondiale. L’Allemagne et l’Empire austro-hongrois ne disposant pas de la maitrise navale ne purent s’approvisionner correctement en vivres sur le marché mondial. Elles durent pour pallier ce manque restreindre le nombre d’hommes en âge de se battre pour conserver une main d’œuvre agricole à même de subvenir aux besoins de la population. La France et l’Angleterre à l’inverse bénéficièrent par la maitrise des mers d’un approvisionnement suffisant en vivres et en charbon essentiellement. Les allemands en étaient bien conscients, qui attaquèrent massivement avec leurs sous-marins les flottes de commerce adverses et accélèrèrent l’entrée en guerre des américains.

D’autres situations historiques foisonnent dans cet ouvrage, qui méritent d’être découvertes directement par sa lecture.

Oceanides est un programme de combat qui ambitionne d’infléchir l’analyse de l’Histoire par une prise en compte au premier chef du facteur maritime qui n’est pas bien entendu le seul élément explicatif mais s’avère incontournable. Cette recherche remédie à une absence et une méconnaissance choquantes et enrichit grandement la connaissance et la compréhension des mécanismes historiques. Edouard Berlet

  1. La grande histoire vue de la mer. Christian Buchet. Editions du Cherche midi. Préface de Jean-Louis Etienne.

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