Mr Gwin, d'Alessandro Baricco
Mr Gwin, écrivain à succès se lasse d’écrire, erre, se convainc que « la seule chose qui nous fait sentir vivants est aussi ce qui lentement nous tue » Paradoxe apparent ou vérité profonde ? L’auteur nous laissera à nos méditations. Par un tour de son esprit génial, Mr Gwin décide de devenir « copiste ». L’activité parait noble –les moines copistes sont passés par là - mais de quoi s’agit-il ? Notre homme ne le sait pas. Tom, son éditeur et ami a peur de perdre un de ses meilleurs poulains et tente de l’éloigner d’une voie sans issue. Seule la vieille dame au foulard imperméable qui vient se réchauffer au dispensaire à heure fixe est de quelque secours en lui remontant le moral.
« Ecrire un portrait » voilà l’affaire d’un copiste, décide t’il. Il ne s’agit pas de décrire, ni de peindre ou dessiner un portrait mais d’inventer une forme nouvelle en réussissant le grand écart entre ces deux modes d’expression. A défaut de savoir où il va, Mr Gwin décide de prouver le mouvement en marchant. Faute de connaitre le contenu de sa nouvelle activité, il en trace le cadre : Trouver des modèles féminins qui n’inspireraient pas du désir mais une lointaine intimité, évolueraient nues, sans parler, dans un atelier vide, nimbé d’une lumière entre l’ambre et le bleu et noyée dans une mélopée initiatique. Les élues se succèdent l’une après l’autre pendant des semaines, s’exaltent, se désespèrent, se cabrent. Il tente de capter leur identité profonde que leur nouvelle vie insolite est sensée révéler, prend des notes qu’il cache soigneusement. Il a seul la clé de cette parade sauvage et de ce rituel intime qui devront révéler les âmes, abolir la distance entre les êtres, « ramener les gens chez eux ».
Au bout de ces semaines de chaos, Mr Gwin révèle au lecteur que « écrire un portrait » (le métier du copiste) n’est pas d’être à la quête d’un personnage mais de l’histoire d’un personnage, celui-ci n’en étant qu’un fragment. L’auteur réussit- il seulement à affiner son concept de départ ou parvient-il à accoucher d’une nouvelle forme artistique qui ouvrirait la porte à des vies meilleures et plus heureuses ? Le lecteur jugera.
Alessandro Baricco met le lecteur sous hypnose et le conduit vers des contrées inconnues avec grand talent, d’une écriture lumineuse dépourvue de toute trace de gras.
Cet italien éclectique est certainement un des écrivains les plus doués de sa génération. Il a une œuvre variée et volumineuse à son actif, faite de romans (lire Novecento), de pièces de théâtre, d’essais (lire « Les barbares ») et d’écrits sur la musique. Un auteur à ne pas rater. EB