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ARRIVEE D’HOMMES ET DE METHODES DE L’ENTREPRISE DANS L’APPAREIL D’ETAT : QUELS ENJEUX ?

L’élection d’Emmanuel Macron à la Présidence de la République a conduit à des changements majeurs dans l’origine socioprofessionnelle des ministres et parlementaires. Avant Emmanuel Macron qui a passé quelques années au sein de la Banque Rothschild, seul Georges Pompidou, Président de la République de 1969 à 1974 avait eu une expérience du secteur privé, à la même Banque Rothschild, hasard que certains commentateurs chagrin ont pu juger douteux…Pour la première fois sous la cinquième République, le tandem Président et premier ministre a eu des responsabilités en entreprise, Edouard Philippe ayant œuvré chez AREVA. A l’assemblée nationale, de façon inédite, une courte majorité des parlementaires vient du privé face au bloc traditionnel des fonctionnaires et enseignants. Le raz de marée d’élus d’ «En marche» où les cadres d’entreprise sont fortement représentés, explique ce résultat. Enfin, les principaux conseillers à l’Elysée et Matignon ont également connu cette expérience d’entreprise. On ne peut, à mon sens, que se réjouir de cette mutation qui permet d’apporter de nouvelles idées et pratiques gouvernementales et de conduire à une compréhension fine des enjeux d’une économie mondialisée.

L’émergence d’un nouveau type de dirigeant dans la sphère publique suscite un passage progressif d’une culture soucieuse avant tout des équilibres politiques et des positionnements personnels à une culture de l’efficacité et du résultat, même si la première préoccupation –soyons réaliste - sera toujours présente. La réduction de moitié du nombre des ministres décidée par Emmanuel Macron, choisis de surcroit sur des critères d’expertise dans leur domaine, en est une première manifestation. La constitution d’une équipe gouvernementale réduite offre des gages de solidarité et de mobilité d’action. L’époque où certains ministres étaient nommés principalement en raison de leur l’origine géographique apparaît bien lointaine. Des exemples corses ou alsaciens viennent facilement à l’esprit. L’ambition présidentielle de réduire d’un tiers le nombre de parlementaires, en réinjectant une partie des économies réalisées dans une augmentation de leurs moyens va dans le même sens. Citons d’autres pratiques d’entreprise: Priorité quasi exclusive à la mise en œuvre du programme présidentiel sauf exigence impérative venant de l’extérieur, sur le modèle du «business plan»; inclusion d’un mécanisme d’évaluation dans le corps de la loi avant son adoption (voir les ordonnances sur le réforme du code du travail) alors que l’évaluation de la mise en œuvre des textes est habituellement confiée ex post à des corps d’inspection de façon non systématique; envoi d’une lettre de mission aux Directeurs d’administration ce centrale qui permettra de les juger aux résultats etc.

L’avènement d’une culture pragmatique du résultat dans la sphère publique résulte de l’écart croissant devenu insupportable aux citoyens entre un univers des acteurs économiques assujettis jour après jour à des exigences de performance et de compétitivité et un univers politique enfermé dans une bulle de débats et de pratiques hors du temps. Le modèle consistant à élaborer un programme à visée purement électorale qui explose à l’épreuve des faits une fois ses instigateurs aux manettes est, espérons le, durablement rejeté. Dans les faits l’exercice du pourvoir est un jeu d’équilibre entre efficacité économique et justice sociale. Dans ce schéma, la différence entre la droite et la gauche de gouvernement se résume au positionnement du curseur entre ces deux pôles. Aux deux extrémités de l’échiquier, certains partis jouent un rôle de caisse de résonance des peurs et des révoltes, mais leurs dirigeants – de purs tribuns- et leurs programmes irréalistes ne peuvent servir de base à l’action gouvernementale. La grande nouveauté de Macron est d’avoir intégré cet impératif de réalisme et de résultat dans l’énoncé de son programme devenu une véritable feuille de route. Dès lors, Le réalisme n’est plus un aveu d’échec et un renoncement implicite plus ou moins honteux à des annonces électorales irresponsables. Le Président porte par ailleurs une ambition réformatrice très large qu’il met en œuvre jusqu’à présent avec audace. Il est encore un peu tôt pour en apprécier l’impact.

L’apparition d’hommes et de valeurs venant de l’entreprise est-elle conforme à l’intérêt général ? Notons tout d’abord que ce concept est polymorphe et varie de façon contradictoire selon les ministères chargés de le défendre. Ainsi les ministres sectoriels (culture, logement etc..) défendent une hausse de leur budget au nom de l’intérêt général alors que Bercy plaide la baisse pour la même raison. C’est donc une notion relative même si une synthèse entre ces approches contradictoires est effectuée au sommet de l’État. Par ailleurs en dehors de la formation à certaines disciplines spécifiques (ex finances publiques, droit public) un cursus universitaire de caractère général permet de façon indifférenciée de servir dans le secteur public ou en entreprise. Je l’ai expérimenté pour ma part en ayant fréquenté les deux univers professionnels. Le service de l’intérêt général relève pour l’essentiel de l’éthique et de la vocation de chacun.

La question principale posée par le métissage public-privé est celle des conflits d’intérêt. Ceci dans les deux sens: du public vers le privé, le cas le plus fréquent actuellement et vice-versa. Quelques exemples : le cas du haut fonctionnaire en charge de la restructuration d’un groupe industriel, qui sait qu’il pourra diriger la nouvelle structure. Dans l’autre sens, un salarié du privé qui migre vers l’Administration, généralement pour une durée limitée peut avoir la tentation de privilégier les intérêts de son entreprise d’origine. Des règles ont été posées pour traiter le premier cas de figure, chaque cas de transfert étant examiné par une commission d’éthique . Un mécanisme comparable pourrait être mise en place pour traiter les mouvements du privé vers le public. Certaines clauses-type permettant de prévenir ou sanctionner les conflits d’intérêt devraient être incluses dans les contrats de travail. Une charte d’éthique pourrait être également élaborée.

Le recrutement régulier de salariés venant de l’entreprise concerne à mon avis d’avantage les ministères qui coiffent des secteurs économiques. Les ministères régaliens (défense, affaires étrangères, justice, sécurité) sont pour l’essentiel en dehors de ce débat Même si des progrès très importants peuvent être constatés sur la durée dans la compréhension entre les deux mondes, de fortes barrières culturelles subsistent malgré tout. Elles ne peuvent être toutes abattues - et ce n’est sans doute pas souhaitable- mais elles peuvent être réduites. De nombreux domaines sont visés. Celui de la réglementation est le premier qui vient à l’esprit. Combien de textes réglementaires inutiles ou inappliqués, de projets de textes déviés de leurs objectifs initiaux ou vidés progressivement de leur substance ! Ils réduisent la visibilité du cadre d’action des entreprises en mijotant pendant des mois sinon plus par absence de décideur ou inertie administrative. Un flux régulier de recrutements venant du privé pourrait atténuer ce phénomène en pesant sur le processus de décision. Il pourrait également insuffler et enraciner des nouvelles méthodes de management.

Dans un premier temps, certains ministères-pilotes pourraient être chargés d’une mise en œuvre organisée de cette politique qui serait suivie d’une évaluation après quelques années

Gageons que le croisement de l’intérêt général apporté par les technocrates et la connaissance du terrain fournie par les experts du privé ouvrira une ère nouvelle. EB

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