1975-2022. MAYOTTE, DU BLOCUS A L'ANARCHIE
1975. Les autorités françaises organisent un referendum sur l’indépendance de l’archipel des Comores jusqu’alors rattachées à la France. Trois iles choisissent cette voie, à l’exception de Mayotte qui souhaite restée française. Il s’ensuit un flot de migrants en provenance des nouveaux territoires indépendants vers Mayotte, soucieux d’éviter certains troubles et de rester branchés à la corne d’abondance de notre beau pays. Voir carte ci-après.
J’étais à l’époque officier de quart embarqué sur « la Dieppoise », patrouilleur de la Marine en océan indien au titre de mon service militaire. L’instruction est donnée aux trois ou quatre navires de la flotte de faire le blocus de Mayotte en navigant sans discontinuer autour de l’ile avec la mission suivante : dissuader les comoriens de quitter leurs iles vers Mayotte, arraisonner les boutres des migrants. Trois semaines en mer avec interdiction d’escaler à Mayotte. Nous avons repéré quelques embarcations qui pouvaient aussi être des pécheurs leur servant d’alibi. Nous n’en avons arraisonné aucune. En fait les fuyards naviguaient souvent de nuit aux abords de Mayotte ce qui rendait la traque plus difficile. Il s’agit-là du bilan de la Dieppoise, le résultat des autres navires de la Marine étant restés inconnus de nous. A bord, chaleur torride, accès à la douche sérieusement contingenté, rations de combat en fin de campagne, prolifération de cafards sur les bannettes. Nous nous consolions de ces petites misères quotidiennes lors des quarts de nuit sous le vent de l’ile en humant avec délice les senteurs d’Ilang Ilang. L’équipage était fier, nous croyions écrire l’Histoire et vivions l’aventure, peu conscients du désastre qui s’annonçait. Dans cette bataille navale bon enfant nul n’imaginait qu’une crise migratoire était en train de naitre, de se développer jusqu’à nos jours et de sombrer dans l’hyper- violence.
2022. Le principal ingrédient de cette crise fut donc l’éclatement de l’archipel des Comores qui a creusé un gouffre de richesse entre Mayotte d’une part, bénéficiant de la manne financière de la métropole et les autres iles, situées « à portée de voix » , sans autres ressources que des cultures vivrières. Ce gouffre s’est accru avec l’attribution en 2009 du statut de département, puis de région à Mayotte ouvrant droit à son lot de prestations sociales : protection contre le chômage, retraite, allocations familiales drôlement baptisées « argent-braguette » par les locaux etc.. Ceci dans un environnement peu favorable à l’émergence d’autres solutions : Eloignement des grands flux de développement économique avec pour seul grand voisin Madagascar, placé dans les derniers du classement ONU des pays selon le revenu par habitant , indifférence des gouvernements français successifs pour un micro -territoire de 300000 habitants, sans richesses minières et doté de peu d’électeurs. . Sa position stratégique à l’entrée du Canal de Mozambique, (situé entre Madagascar et la côte est de l’Afrique) aurait pu être valorisée en créant une base navale qui avait sa logique quelques mois après la restitution de celle de Diego Suarez (extrême nord de Madagascar) aux malgaches. Dès le début, Mayotte a été un boulet pour la France qui s’est fait forcer la main en 1974 en acceptant de la garder dans son giron .
Près de 50 ans plus tard, la moitié de la population de Mayotte est étrangère, très majoritairement comorienne et souvent clandestine. Les moins de 18 ans représentent 50% des mahorais, souvent abandonnés par leurs parents expulsés, déscolarisés et privés d’avenir. Les jeunes forment des bandes rivales qui se battent à coup de machette dans une extrême violence et rackettent la population. Les gouvernements qui se succèdent parent au plus pressé en renforçant les forces de police et de justice. Ils remplissent un tonneau des Danaïdes. Comment rétablir l’ordre et un minimum d’organisation sociale sur cette terre française ? Nul ne sait vraiment. Quel degré de violence supplémentaire pouvons-nous accepter bien au chaud dans nos pantoufles ? Nul ne sait non plus.
Mayotte est un « triste laboratoire » où se mêlent dans un cocktail explosif immigration, pauvreté et violence, cocktail qui n’est pas seulement à 10000 km mais aussi dans nos banlieues proches et nos territoires à l’abandon. Ces maux nous rattrapent, nous punissent de nos indifférences et de notre aveuglement. Ils nous montrent ce qu’il se passe quand il est trop tard pour réagir.
Edouard
Vous pouvez lire sur cette ile « Tropique de la violence », le roman attachant de Natacha Appanah, écrivain francophone de nationalité mauricienne. (Gallimard. Poche)
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